1960 - 1966 : Le Maroc
1960, l'industrie cotonnière française est en crise, concurrencée par les textiles synthétiques et progressivement privée de ses débouchés dans les anciennes colonies (qui acquièrent peu à peu leur indépendance économique et industrielle). Le groupe Boussac se sépare de ses collaborateurs jugés moins rentables : mon père, âgé de 48 ans, va être remplacé par un cadre moins diplômé mais plus jeune et moins cher. Il lui faut donc trouver un autre emploi mais sa spécialisation lui ouvre peu de débouchées. Cette fois, ce sont les circonstances qui l'obligent à quitter la France. Il est finalement embauché par un organisme dépendant de la "Caisse de Dépôts et Consignations" française pour une mission d'assistance technique (prévue pour un minimum de 2 ans) au Maroc : il sera conseiller, chargé du textile, au sein du ministère "des Mines et de l'Industrie" à Rabat. Son rôle sera donc de favoriser l'installation d'une industrie textile dans ce pays en développement (ancien protectorat devenu royaume indépendant depuis 1954) qui, d'importateur, deviendra producteur puis exportateur pour ensuite venir concurrencer l'industrie française (une évolution professionnelle assez paradoxale).
Aux vacances de Pâques, je quitte donc le lycée de Lillebonne et accompagne ma mère en voiture (la P60) pour traverser la France et embarquer à Marseille pour rejoindre Casablanca, via Port-Vendres. Mon père est déjà installé depuis quelques semaines à Rabat où nous vivrons à l'hôtel en attendant de trouver une petite maison dans le quartier résidentiel de l'Agdal (qui signifie "jardin"). Ma sœur est restée en France (elle était pensionnaire à Rouen) pour terminer ses études, d'autant qu'elle était déjà fiancée. Elle ne nous rejoindra désormais que pour les vacances et je me retrouve "fils unique".
Je "débarque" donc au lycée français de garçons de Rabat où le troisième trimestre est déjà commencé depuis une semaine : pour moi, c'est un vrai "choc culturel" dans cet univers méditerranéen très "macho" dont j'ignore tous les codes. Mais comme j'ai un bon niveau scolaire, on me catalogue "bon élève" et on me laisse m'acclimater. En octobre suivant je rentre chez les Scouts de France car il y a une troupe dans le quartier (majoritairement habité par des expatriés, dont une bonne proportion de français). Cette activité extra-scolaire va me faire sortir du cocon familial et favoriser mon intégration parmi les garçons de mon âge, sans pour autant me rendre plus sportif (très vite on me confiera la gestion de la caisse et de la trousse d'infirmerie, activités plus en rapport avec mes "compétences"). En 1963, je quitte le scoutisme pour intégrer les activités du foyer des élèves du lycée (bibliothèque, ciné-club...). C'est dans ce cadre que je vais sympathiser avec Jean-Michel. Nous avions le même âge mais n'avons jamais fréquenté la même classe et nous nous sommes perdus de vue après le bac... Pour nous retrouver plus de quarante ans plus tard par le biais des sites d'anciens élèves, renouer des échanges par d'innombrables mails et finir par créer ensemble plusieurs sites-web (voir "Une Vie Fantastique").
Plan de Rabat dans les années soixante
Quatre points de repère sur ce plan :
x : Le quartier de l'Agdal où ma famille a vécu de 60 à 70, à deux pas de l'église Notre-Dame des Anges et des commerces de l'avenue Jeanne d'Arc. En 1970, la mission de coopération technique de mon père est interrompue : il va retrouver pendant quelques années l'industrie en dirigeant une usine textile à Fès, pour finalement terminer sa carrière de nouveau à Rabat dans un organisme dépendant de l'administration française. Mon dernier séjour à Rabat est l'été 70 (en vacances avec deux camarades Lillois), puis 15 jours à Fès en septembre 74 en compagnie de mon épouse, mais j'avais déjà perdu tous mes liens avec le Maroc.
G : Le lycée Gouraud (du nom d'un collaborateur du Maréchal Lyautey, le père du protectorat français du Maroc), géré par "l'Alliance Française", que j'ai fréquenté jusqu'en Juin 1963, date à laquelle le bâtiment a été cédé à l'état marocain.
D : Le lycée Descartes qui l'a remplacé en octobre 63 et qui est toujours en fonction, accueillant les élèves français mais également les étrangers et les marocains qui ont choisi de suivre une scolarité française. J'y ai suivi la première et la terminale (de 63 à 65).
F : La Faculté des Sciences où j'ai effectué l'année préparatoire aux études médicales (CPEM, en 65-66), enseignement en français, diplômes marocains reconnus par l'Université française. A l'époque certains professeurs (Histologie, Biochimie en particulier) étaient délégués par la faculté de Médecine de Bordeaux.
Cartes Postales de Rabat (années 40 à 60)
Le Centre-ville (bâtit pendant le protectorat français) : le quartier de la gare, l'avenue Mohamed V (souverain du Maroc au moment de son indépendance). Au fond, la Médina (la ville traditionnelle) et l'océan; à droite l'estuaire du Bou Regreg.
Angle différent : la gare est à gauche (les voies de chemin de fer passent donc sous la place) pour partir vers le nord du pays.
Les Trois Portes (Bab er Rouah) dans les anciennes fortifications qui sépare la "ville nouvelle" des quartiers extérieurs de l'Océan et de l'Agdal. A droite, la Grande Mosquée et l'esplanade qui mène vers le Palais Royal.
Autre porte de Rabat ; Bab el Had. La gare routière est à gauche, on remarque les taxis blancs à toit noir avec leur galerie jaune.
Le centre de l'Agdal au début des années 50 : l'avenue Jeanne d'Arc au bout de laquelle se trouve l'église. De nombreux commerces sont installés sous les arcades, on devine la Poste à droite. Ce quartier constituait une véritable petite ville française à la périphérie de la capitale de "l'Empire Chérifien". Toutes les rues portaient des noms de provinces françaises (nous avons habité rue du Beaujolais, puis rue de Rouergue). Notre environnement était tellement francophone qu'au bout de 6 ans je ne connaissais, en Arabe, que quelques mots de politesse (et quelques insultes).
Depuis, ce quartier s'est complètement transformé, perdant sa spécificité "française". L'église et ses nombreuses dépendances (couvent des franciscains transformé déjà à l'époque en résidence d'étudiants, bibliothèques, "patronage", cinéma-théâtre...) ont été remplacées par un centre commercial... Les petites villas, qui étaient occupées par les expatriés et quelques "petits bourgeois" marocains (les classes privilégiées logeaient dans d'autres quartiers), ont été remplacées par des immeubles modernes.
Site-web de la ville actuelle : "Rabat"
Mes années Lycée
L'entrée principale du lycée Gouraud (cliché des années 30)
La classe de seconde M' 3 (j'avais choisi cette section par goût pour les sciences naturelles mais également pour abandonner l'espagnol, discipline dans laquelle j'étais plutôt médiocre) du lycée Gouraud en 62-63 (dernière année avant le déménagement à Descartes). Elle comptait d'assez nombreux élèves de nationalité marocaine de confession juive (enfants de commerçants ou de fonctionnaires). Mais face à l'arabisation (on ne parlait pas encore d'islamisation) de la société marocaine, cette communauté va peu à peu quitter le pays pour gagner l'Europe (mais aussi l'Amérique et Israël).
Si le sujet vous intéresse, vous pouvez consulter le site-web "Dafina.net Les Juifs du Maroc" qui foisonne de renseignements sur le passé récent du Maroc à travers le regard de cette communauté (tout en étant très accueillant pour les visiteurs non juifs).
La classe de Mathématiques Elémentaires "1" en 64-65, la seule classe mixte de secondaire au lycée Descartes de Rabat (il y avait d'autres classes mixtes d'enseignement supérieur, dont celle fréquentée à l'époque par Elisabeth Guigou, mais c'est une autre histoire...) car il n'y avait pas de classe de Math-Elem au lycée de jeunes filles "Lalla Aïcha".
C'est pendant cette année que j'ai réalisé que je n'aimais pas les math et que je n'avais aucune envie d'aller dans une "classe prépa" pour passer les concours d'entrée dans les écoles d'ingénieurs. Après bien des hésitations, je décide de faire Médecine, d'autant qu'il est possible de commencer les études à Rabat...
L'année suivante, l'écrasante majorité des élèves ayant obtenu leur bac est partie poursuivre des études supérieures en France, très peu reviendront vivre au Maroc. Leurs parents quittent également le pays à la fin de leur contrat ou à l'occasion de leur retraite (ce sera le cas des miens en 1980).
Octobre 65, j'intègre donc la Faculté des Sciences de Rabat où s'effectue l'année préparatoire de Médecine (le programme est très proche de celui de "Sciences Physiques, Chimiques et Naturelles", la suite des études se situant dans les locaux de l'hôpital "Avicenne"). Nous ne sommes que 250 étudiants dans la promotion, dont seulement 3 français et je suis le seul blond de l'amphi : très vite on me surnomme "jaune de thiazole" (du nom d'un colorant utilisé en TP de chimie). Impossible de passer inaperçu, en revanche l'ambiance est très bonne, les prof très proches: finalement j'y ai passé une excellente première année de fac (la suite sera bien différente).
Malheureusement, c'est à cette époque que c'est produit "l'affaire Ben Barka" (la disparition, jamais officiellement élucidée, du principal opposant au roi Hassan II et ancien leader du syndicat étudiant du Maroc) qui va provoquer de longues semaines de grèves des cours, ce qui fait craindre que les diplômes marocains ne seront plus reconnus en France. Nous décidons donc que je ne continuerai pas mes études au Maroc.
La meilleure amie de ma mère (qui est déjà venue plusieurs fois chez nous, en Normandie comme au Maroc, et promet de m'accueillir) habite Lille où mon dossier est accepté, tant en Fac qu'à la Résidence Universitaire : c'est donc dans le Nord (où je ne suis pratiquement jamais allé auparavant) que je partirai à la prochaine rentrée.
La météo locale
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021
Commentaires
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- 1. HASSAN LIBRAHIMI Le 16/09/2021
Bonjour M. Mihaslovitc
Je suis tombé par hasard sur ce super site qui me rappelle de très beaux souvenirs. Je suis Marocain, né en 54 à l'Agdal où mon père possédait un magasin d'alimentation (Av des Héros). Nous habitions et habitons toujours dans l'immeuble sis à l'angle Av des Héros (Av Al Abtal aujourd'hui) et Rue d'Aunis (Rue Tansift aujourd'hui). Si je peux répondre aux interrogations des internautes concernant notre beau quartier, je le ferais avec grand plaisir.
Amitiés -
- 2. aldo di bernardo Le 28/08/2021
Bonjour,
Je suis né en 1955. J 'ai vécu a Rabat entre 1963 et 1967 d'abord à l'avenue Bou Regreg ou j'allais à l école à l'institut La Salle a deux pas e chez moi..Ensuite au Souissi et j'allais au lycée Descartes..Je ne me rappeles plus en quelle classe, ca devait être en cinquième....Que du bon temps !! -
- 3. Pellet Le 08/07/2021
PAPY 47 m'a fait remonter une flopée de souvenirs de Rabat ou j'ai fait toute ma scolarité au Lycée Gouraud de la 10ème à Math Elem en 1963(redoublée au Lycée Descartes en 1964).né à Sorède en 1945 ,arrivé à Rabat en 1951,reparti en 1964 pour rentrer en fac à Montpellier.j'avais mes meilleurs amis qui habitaient rue de l'Angoumois à l'Agdal!J'habite maintenant Argeles sur mer,et suis toutes les semaines à Collioure! à bientôt peut être .Jean Louis; -
- 4. RIVES Le 06/05/2021
Bonjour,
Très beau site et de très bons souvenirs du Maroc. Je suis né à Rabat en 1950 et j'ai quitté le Maroc en 1969 pour suivre ma famille " rapatriée " en France, un pays qui m'a complètement dépaysé car j'ai passé ma jeunesse au Maroc. En outre, dès mon arrivée, j'ai été envoyé en Allemagne dans les FFA pour faire mon Service Militaire. Je me suis retrouvé à faire mes Classes en octobre 1970 dans la neige et les Grandes Manoeuvres par - 26°... Après avoir connu le climat marocain, ce n'est pas évident mais à 20 ans on arrive à supporter. J'ai mentionné toute cette histoire dans un livre autobiographique qui s'intitule " Au détour du destin - A coeur ouvert " paru au Editions Edilivre. J'espère que vous vous portez bien. Prenez soin de vous. Je vous souhaite une excellent retraite.
Cordialement,
Jean-Marc Rives -
- 5. Quris Yann Le 20/04/2021
Dans les années 60, le directeur de l'école de l'Agdal s'appelait Mr Darle, me semble t il. Mlle Scabello était ma maîtresse en classe de CM. -
- 6. Quris Yann Le 18/11/2020
J'habitais avenue de Gascogne de 1950 à 1962 à l'Agdal. J'ai fréquente l'école primaire en face de la caserne sportive. Puis le lycée Gouraid, le collège des orangers et l'ecole de la salle. Peut être nous sommes nous connus à l'époque.
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